La phobie scolaire est un mal qui touche de nombreux jeunes à travers la France. Très difficile à diagnostiquer, le chemin vers la guérison peut être compliqué. Pour accompagner au mieux les enfants victimes de phobie scolaire et leurs parents, Pauline Bruneteau, une jeune entrepreneuse de 21 ans, a développé une application nommée PassiFlora. Études Créatives est parti à sa rencontre pour comprendre ce projet pour le moins novateur.
Phobie scolaire, un mal-être difficile à diagnostiquer, mais bien réel
Comment définiriez-vous la phobie scolaire ?
J’aime bien reprendre la définition d’une psychologue : C’est une situation dans laquelle l’école devient une véritable source de souffrances pour l’enfant qui dépasse ses ressources. Ce n’est pas simplement un caprice, mais réellement le moment où l’on se dit “Je ne peux pas y aller”. Bien souvent, on a envie d’y aller, mais notre corps, lui, n’y arrive pas.
Phobie scolaire : Quels en sont les symptômes ?
La phobie scolaire est vécue différemment selon chaque individu, c’est ce qui rend ce trouble si difficile à diagnostiquer. Il y a autant de symptômes physiques que mentaux. La difficulté d’aller à l’école est le principal symptôme, commun à tout le monde. On retrouve également des symptômes mentaux comme des crises de larmes, de la dépression ou encore des pensées suicidaires. En ce qui concerne les symptômes physiques, ils varient selon la personne. Moi-même atteinte de phobie scolaire dans mon enfance, je souffrais de maux de ventre et de nausées. Certains peuvent aussi être confrontés à de violents maux de tête, voire des malaises. J’ai connu une personne dont les mains devenaient bleues avec la peur…
Dans votre cas, quels ont été les premiers symptômes de la phobie scolaire ?
J’ai toujours eu une relation bizarre avec l’école. Cela a toujours été une source d’angoisse pour moi, dès la maternelle. Je me réveillais la nuit car j’avais peur d’aller à l’école. Malgré tout, j’ai tenu jusqu’en classe de seconde au lycée. Durant cette période, j’ai changé d’établissement, ce qui a fortement compliqué les choses. L’ambiance y était pesante. En deux semaines, je suis passé de l’étape “C’est un nouveau départ, je vais y aller et m’habituer” à “Je préfère mourir plutôt que d’aller dans cette école”. Après avoir fait une tentative de suicide, je n’ai plus jamais remis les pieds dans cet établissement.
De la maternelle à la seconde, comment était votre rapport avec l’école ?
Durant cette période, j’avais énormément d’appréhension avant d’y aller. J’avais en permanence la boule au ventre, mais une fois sur place, j’allais mieux. Cela a continué jusqu’en 3ème. Une fois arrivée en classe de seconde, cela a explosé.
Des événements auraient pu déclencher votre phobie scolaire ?
Avec du recul, je pense que la séparation de mes parents a indirectement joué sur son développement. Mais le véritable traumatisme a été mon harcèlement scolaire en 6ème et en 5ème. Cela se passait généralement dans le car scolaire, ce qui crée un lien particulier avec l’école et les autres élèves de son âge. J’ai rapidement perdu confiance en moi, mais aussi envers les autres.
Après la seconde, comment vous êtes-vous réadaptée au monde scolaire ?
J’ai arrêté les cours pendant trois ans et je suis allée au CNED. L’école a essayé de mettre en place des aménagements, mais un mois plus tard, rien ne s’était passé. Durant ces trois années, j’ai eu un suivi psychologique pour que je me reconstruise. Dès la première, je voulais y retourner pour retrouver cette dimension sociale avec les autres, mais je ne voulais pas risquer de faire une nouvelle phobie scolaire et de rater mon bac.
J’ai renouvelé le contact avec les écoles “réelles” lors des portes ouvertes de l’École de design Nantes Atlantique. Ce fût un réel déclic pour moi. Je pouvais voir la passion du design dans les yeux des élèves.
Moi-même, j’ai toujours voulu exercer un métier créatif. Dans un sens, cela peut expliquer pourquoi l’école traditionnelle, très structurée, ne me correspondait pas. J’ai pris le temps de discuter avec des professeurs, ce qui m’a rapidement rassurée. Dès que je suis rentrée à l’école de Design, tout s’est passé naturellement. La première semaine, j’avais naturellement la boule au ventre à l’idée d’interagir avec les autres élèves. Mais cela n’a duré qu’une semaine, les élèves étaient si bienveillants, je me sentais réellement à ma place.
Pensez-vous que les cours théoriques ont eu un impact dans l’apparition de votre phobie scolaire ?
Oui, je n’avais pas de sentiment de satisfaction parce qu’il y avait deux types de cours pour moi. Des cours que j’adorais comme les langues, l’art plastique, mais dans lesquels les enseignements n’étaient pas assez poussés, alors je m’ennuyais vite. De l’autre côté, il y avait les cours scientifiques dans lesquels j’étais vite perdue et un peu à la ramasse… Dans le design, j’ai trouvé une réelle satisfaction et ça m’a aidé.
La phobie scolaire est-elle prise au sérieux par les écoles et les parents ?
Il y a deux clans : ceux qui pensent qu’il ne s’agit que d’un caprice et qu’il est nécessaire de forcer l’élève à retourner à l’école. Ici, on retrouve souvent des parents, des enseignants ou des professionnels de santé rendant très difficile la prise en charge de certains. Sur Instagram, je lis souvent des commentaires affolants disant « À mon époque, mes parents m’auraient mis une bonne claque et je serais vite retourné à l’école ». D’un autre côté, certains établissements prennent cela très au sérieux et n’hésitent pas à aider les jeunes qui en souffrent.
Est-il difficile de mettre des mots là-dessus lorsque l’on souffre de phobie scolaire ?
Cela dépend, j’ai eu la chance d’être diagnostiquée assez rapidement. Il a fallu un mois et demi pour que le terme “phobie scolaire” soit utilisé. Il y a des personnes qui restent dans l’errance médicale pendant plus longtemps. J’ai fait ma phobie scolaire en 2017 et, à l’époque, je n’en avais jamais entendu parler et aujourd’hui je vois que c’est de plus en plus reconnu. C’est très rassurant de voir le terme « phobie scolaire » se démocratiser. C’est chouette parce que les enfants peuvent se reconnaître dans les symptômes.
Quelles sont les initiatives des écoles pour aider les enfants atteints de phobie scolaire ?
Certains établissements s’adaptent à l’élève. Par exemple, un établissement situé en Bretagne compte énormément de personnes atteintes de phobies scolaires parmi ses élèves ; c’est un peu leur spécialité. Ils sont à leur écoute. Pour certains élèves, l’heure du midi est la plus difficile. Le directeur adjoint leur propose de venir manger dans son bureau pour les soulager d’un poids. Cela peut être un aménagement des cours, un allègement de l’emploi du temps pour que l’élève y aille quand il se sent capable d’y aller. Chaque élève est différent et cela rend l’adaptation compliquée en fonction de son établissement.
Existent-ils des écoles spécialisées ?
Il existe des micro-lycées qui accueillent de nombreuses personnes atteintes de phobie scolaire. Mais c’est un des objectifs que se fixent les associations spécialisées : ouvrir des écoles spécialisées. D’un point de vue général, les infrastructures sont rares et les places limitées, encore plus lorsqu’on est issu d’une petite commune en pleine campagne, comme cela l’a été pour moi.
Savez-vous combien il y a de cas de personnes atteintes de phobies scolaires ?
Le chiffre officiel est 7%, mais comme il est très difficile à diagnostiquer, le chiffre est plus important, en réalité. Selon l’Association Phobie Scolaire (APS), 20% des élèves en sont atteints au moins une fois durant leur scolarité de phobie scolaire.
Vous dites que des élèves peuvent être atteints de phobie scolaire au moins une fois , certains cas ne dure alors que sur une courte période ?
La phobie scolaire peut être passagère chez certaines personnes. Les éléments déclencheurs peuvent être liés à l’école comme un changement d’établissement, du harcèlement scolaire, tandis que d’autres sont liés à la vie familiale comme un décès ou un divorce parental. Plus la prise en charge est rapide, plus la guérison l’est aussi.
PassiFlora, l’application pour accompagner les personnes atteintes de phobie scolaire
Qu’est-ce que Passiflora ?
PassiFlora est une application qui aide et accompagne les personnes atteintes de phobie scolaire, mais aussi leur entourage et les établissements concernés. Dans le PassiFlora idéal, il y aurait trois profils :
– Un profil destiné aux enfants afin de trouver des ressources pour comprendre ce qu’ils sont en train de vivre. Quand on est atteint de phobie scolaire, souvent, on panique et on se dit que cela ne va jamais s’arrêter. Notre objectif ici est de leur faire comprendre qu’il s’agit simplement d’un épisode passager et de leur donner espoir. Nous retrouvons plusieurs programmes pour aborder les différentes thématiques de la phobie scolaire. Les utilisateurs apprennent ainsi à maîtriser leur anxiété, leurs émotions, leur confiance en soi, sans oublier leurs relations avec les autres. On propose également des exercices comme de la sophrologie, d’hypnothérapie, réalisés avec des professionnels de santé. Dans une version optimale, on aimerait bien avoir un chat utilisateur où les personnes atteintes de phobie scolaire peuvent échanger pour parler de ce qu’elles traversent. Parfois, ce sont des élèves qui sont au CNED et en manque de lien social.
– Un profil pour les parents. L’objectif ? Essayer de leur expliquer le sentiment de leur(s) enfant(s), mais surtout tenter de les déculpabiliser. Souvent, quand un enfant est atteint de phobie scolaire, les parents se sentent responsables. On considère qu’un parent qui ne se sent pas coupable sera plus à même d’aider son enfant, contrairement à un parent qui culpabilise. On leur donne des conseils et astuces pour les aider à gérer la situation.
– Un profil pour les établissements afin de leur proposer des aménagements à mettre en place ou et les aiguiller sur la bonne façon de réagir. Cependant, c’est un système plus difficile à mettre en place car l’Éducation Nationale est très fermée sur le sujet.
Aujourd’hui, on travaille surtout sur le profil enfant qui doit sortir normalement au mois de septembre. Pour les parents, nous avons déjà une newsletter où on leur propose des contenus.
Comment expliquez-vous qu’il soit si difficile de mettre des choses en place dans les écoles vis-à-vis de l’Éducation Nationale ?
Nous ne savons pas. J’ai fait mon projet de bachelor sur la phobie scolaire en insistant sur le rôle de l’établissement justement, afin de pouvoir proposer une solution pour les écoles. Ce que je ne savais pas, c’est que pour faire des entretiens avec des professeurs ou des CPE, il faut l’autorisation des académies. Elle m’est tombée dessus, je leur ai expliqué mon projet et l’interlocutrice avait l’air plutôt partante, mais elle m’a dit qu’elle devait contacter le rectorat car je ciblais les collèges et les lycées. Je n’ai jamais eu de réponse, malgré plusieurs relances. Je ne sais pas si c’est un manque de temps ou si c’est parce qu’ils ne nous prennent pas au sérieux. J’en ai parlé avec l’APS qui, elle aussi, rencontre des difficultés pour les contacter.
D’où est venue l’idée de PassiFlora ?
Durant ma phobie scolaire, j’ai toujours eu envie d’aider les personnes qui traversaient la même chose que moi. Puis l’idée est tombée dans l’oubli quand j’ai intégré l’École de design. En deuxième année, on nous a présenté le programme des Entrep’, un programme de cinq mois qui permet à des jeunes entre 18 et 30 ans de découvrir l’entrepreneuriat. Pendant cette période, j’ai assisté à des workshops sur des thématiques importantes afin de monter son entreprise. Chaque participant doit avoir une idée. Dans mon cas, j’ai fait le lien entre la phobie scolaire et l’UX et cela a donné l’idée de l’application PassiFlora. À l’issue du programme, il y a un concours où tous les projets régionaux et nationaux se réunissent. Nous avons gagné le prix du Pays de la Loire puis le coup de cœur du public national. C’est à ce moment là que nous avons décidé de réellement lancer le projet.
D’où vient le nom PassiFlora ?
Dès le départ, nous voulions le nom d’une fleur car nous aimons beaucoup la métaphore de la petite plante qui pousse pour fleurir. Cela nous a fait penser à un enfant qui, au départ, ne va pas bien, puis petit à petit sur le chemin de la guérison, va pouvoir avancer et grandir pour éclore. La passiflore est une plante utilisée dans les cas d’anxiété pour la calmer. Cela collait donc parfaitement avec notre concept et le nom PassiFlora est né.
Quel a été le processus de développement ?
Pendant les Entrep’, nous travaillons notamment business models pour présenter la pérennité de l’entreprise. Une fois le programme terminé, nous nous sommes concentrés sur l’application en elle-même. Nous sommes deux sur le projet. Mathilde Bumbolo-Gueguen, étude en psychologie, s’occupe de la partie liée aux contenus. Elle trouve des partenaires de santé et conçoit des contenus pour les programmes.
Dans un premier temps, nous avons conçu une newsletter pour voir si nos contenus fonctionnaient, si les parents étaient intéressés, ce qui a été le cas. En septembre, nous sortons notre application dédiée au profil enfant. Je me charge moi-même de la partie développement en no-code, du moins pour la première version, afin de ne pas avancer trop de frais et de pouvoir pivoter si cela ne fonctionne pas. Si cela fonctionne, nous allons développer le profil parent puis confier le développement de l’application en externe.
Avez-vous connu des réticences au lancement de l’application ?
Parfois désespérés face à la phobie scolaire de leur enfant, les parents touchés par ce phénomène étaient très contents de voir un projet tel que le nôtre se développer. Malgré tout, certains parents se sont montrés sceptiques face aux méthodes plus douces, comme la sophrologie. PassiFlora n’a pas pour but de remplacer la médecine, mais d’accompagner les personnes qui en souffrent, car il faut compter deux mois de délai pour obtenir un rendez-vous dans ce domaine. Notre rôle est d’être là avant celui-ci et entre les divers rendez-vous.
Qu’en est-il des personnes sceptiques face à ce projet ?
Je suis assez surprise. On a toujours ce cliché de l’homme cinquantenaire assez fermé sur tout. Mais la vérité en est tout autre. Sur Instagram, les commentaires négatifs peuvent venir de jeunes qui ont la vingtaine, la trentaine, et il y autant de femmes que d’hommes. C’est cela qui est un peu effrayant, il n’y a pas de profil type anti-phobie scolaire.
Quel avenir pour l’application PassiFlora ?
Comme évoqué plus haut, nous sortons officiellement l’application avec le premier profil dès la rentrée 2023. La suite va dépendre des retours que l’on va avoir sur cette version. Si elle ne fonctionne pas, je trouverai un autre moyen d’aider, je suis prête à pivoter pour régler le problème. Si ce n’est pas une application, ce sera autre chose. Mon but ultime est d’aider les gens atteints de phobie scolaire.
Bénéficiez-vous de soutiens pour votre application, notamment des écoles, des associations ou de la région ?
On peut être soutenu par des concours. Récemment, nous avons participé à un concours organisé par La Poste que nous avons gagné en Pays de la Loire avec une récompense de 2 000 € et un accompagnement pour une campagne de crowdfunding. Cette expérience était très intéressante et nous a permis d’avoir les fonds pour développer l’application.
Nous avons également été accompagnées par les Entrep’, puis maintenant par Pépite qui nous permet d’obtenir le statut d’étudiant-entrepreneur. Nous suivons actuellement le parcours émergence dans lequel une personne référente nous accompagne pour suivre toutes les étapes de notre projet. Ce sont des soutiens géniaux pour nous, étudiantes. L’École de design Nantes Atlantique communique également beaucoup sur ce projet. Lorsque je participe à un concours avec des votes du public, l’école me soutient.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui souhaite se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Le premier conseil, c’est de se lancer. On a souvent tendance à passer un temps fou à réfléchir alors qu’il faut juste se lancer car le statut d’étudiant offre de nombreuses opportunités. Je lui conseillerai également de tenter l’aventure à deux. En tant qu’entrepreneur, il va forcément y avoir des hauts et des bas. À deux, cela permet de se soutenir et d’avancer. Mon troisième conseil serait de se faire accompagner. Il y a énormément de programmes pour cela, que ce soit Pépites ou encore Enactus. Cela permet de se faire des contacts et du réseau, ce qui est très important.
Un message à faire passer pour un enfant atteint de phobie scolaire ?
Il faut essayer de prendre conscience que cela est temporaire. Avoir un rêve permet de surmonter cette période difficile. Dans mon cas, je rêvais de vivre en Amérique du Nord et cela me motivait à me lever le matin, à travailler et me permettait d’envisager l’avenir. Lorsqu’on tombe dans la dépression ou que l’on a des pensées suicidaires, il est difficile, voire impossible, d’envisager l’avenir. Prendre le temps de guérir est aussi important.
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