Depuis jeudi dernier, les acteurs hollywoodiens ont rejoint leurs confrères scénaristes pour prendre part à un mouvement social sans précédent. Celui-ci vise à lutter contre les conséquences désastreuses que pourrait avoir l’intelligence artificielle (IA), sur le monde du cinéma, pouvant faire complètement disparaître certaines professions. Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cette grève des acteurs et des scénaristes, Études Créatives se penche sur les raisons de la colère qui gronde à Hollywood.
Hollywood : Les origines du mouvement social
L’intelligence artificielle fascine et de nombreux secteurs l’essayent afin de pouvoir en déceler les limites. Ce fut le cas de Charlie Brooker, le réalisateur de la série Black Mirror. Après avoir demandé à ChatGPT d’écrire un épisode pour la nouvelle saison de la série, le résultat n’a pas du tout convaincu et le projet a rapidement été abandonné. Néanmoins, cela montre bien que l’IA s’invite peu à peu sur nos petits et grands écrans. Un autre exemple, c’est le cas de la nouvelle série de Marvel Studios, Secret Invasion, dont le générique a été intégralement réalisé à l’aide de l’IA Midjourney. Cette opération a déclenché une vive polémique, beaucoup critiquant le fait que cela va, à terme, remplacer le travail de nombreux artistes.
Ceux qui ont été les premiers à craindre pour leur avenir, ce sont les scénaristes de Hollywood. En vue de la vitesse à laquelle l’IA se développe, ils craignent de devenir totalement inutiles et par conséquent d’être remplacés. Pour éviter que ce funeste destin ne se produise, ils sont entrés en négociation avec les gros studios de Hollywood avec deux demandes. La première : Que chaque production dispose d’un nombre minimal de scénaristes peu importe l’envergure du projet. La seconde, que l’IA ne soit pas utilisée comme source d’une production, mais plus comme une aide à celle-ci. Ces deux demandes ont été rejetées par les studios hollywoodiens, ce qui, pour les scénaristes, témoigne bien de leur volonté de les remplacer par l’IA.
Conséquence ? La Writers Guild of America (WGA), le syndicat des scénaristes, s’est mis en grève depuis le 11 mai dernier et de nombreuses productions sont depuis en pause.
La grève des acteurs démarrée jeudi dernier
C’est l’image choc de jeudi dernier. Cillian Murphy, Emily Blunt et Matt Damon, les têtes d’affiche du prochain film de Christopher Nolan, Oppenheimer, quittant l’avant-première du film à Londres pour se mettre en grève. Depuis jeudi et pour la première fois depuis 1960, le syndicat SAG-AFTRA qui représente plus de 160 000 acteurs et figurants, s’est mis en grève. Pour la même raison que leurs confrères scénaristes, ils craignent, eux aussi, d’être, à terme, remplacés par l’intelligence artificielle. L’IA a déjà fait ses premiers pas au cinéma. Dans le dernier volet des aventures d’Indiana Jones sorti le mois dernier, une séquence présente une version rajeunie de Harrison Ford. En temps normal, l’acteur aurait tourné les scènes puis aurait été rajeuni artificiellement par ordinateur. Or, pour ce film, tout a été effectué avec une IA. En effet, l’équipe du film a récupéré des anciens rushs de Harrison Ford et les a modélisés à partir d’une intelligence artificielle. Les craintes des acteurs ne seraient donc pas infondées. Nous ne sommes pas encore au point de voir des IA en tête d’affiche de gros blockbuster, mais vu la vitesse à laquelle elle se développe, ce futur ne serait plus si lointain…
Les revendications du syndicat des acteurs sont similaires à celles du WGA, à savoir une réévaluation des salaires correspondante à l’inflation et des droits d’auteur par rapport au service de streaming, mais surtout la mise en place d’un cadre légal pour encadrer l’intelligence artificielle.
La grève des acteurs se manifeste par leur absence à des événements promotionnels comme la première de Oppenheimer évoqué plus haut ou celle du Manoir Hanté, le nouveau film de Disney qui doit sortir prochainement. De plus, de nombreux tournages ont été mis en pause comme celui de Deadpool 3 avec à l’affiche Hugh Jackman et Ryan Reynolds. Enfin, aucun acteur ne participera à un nouveau casting ou à une audition pour un doublage tant qu’un accord n’aura pas été trouvé entre les différentes parties.
Quelle réponse de la part de Hollywood ?
Face à la grève des acteurs et des scénaristes, les studios hollywoodiens ne comptent rien lâcher et adoptent une tactique assez simple : Jouer la montre. En effet, ils estiment que si la grève perdure jusqu’au mois d’octobre, les scénaristes n’auront plus suffisamment de revenus pour vivre et ils devront forcément se plier aux contraintes des studios. Toutefois, cette stratégie est à double tranchant. D’une durée de 100 jours, la dernière grève des scénaristes, en 2008, avait coûté plus de deux milliards de dollars.
Si Hollywood insiste autant sur l’usage de l’IA, c’est notamment parce que l’enjeu économique y est important. Contrairement à des scénaristes ou des acteurs, une intelligence artificielle ne coûte pas grand-chose pour effectuer un travail similaire aux professionnels de ces deux secteurs.
Pourquoi l’arrivée massive de l’IA inquiète tant ?
Si l’arrivée de l’intelligence artificielle dans le monde du cinéma inquiète autant, c’est parce qu’il n’existe, pour l’instant, aucune loi pour l’encadrer. À titre d’exemple, les voix des acteurs peuvent être clonés sans leur accord et les scénaristes ne sont, techniquement, pas obligatoires sur la production d’un projet. Ils peuvent être remplacés et cela pourrait conduire à la disparition de la profession. Beaucoup d’entre eux craignent d’être simplement relégués à un rôle de relecteur, ce qui ferait perdre tout le côté créatif de la profession. Un autre métier pourrait totalement disparaître : celui de comédien de doublage. En effet, en vue des prouesses capables de réaliser l’intelligence artificielle au niveau des voix, il n’est pas impossible qu’elle soit capable d’effectuer des doublages de A à Z. Leur situation est d’autant plus préoccupante que leur voix est un outil pouvant être utilisé par les studios à volonté, car il n’y a aucun encadrement. En effet, ces comédiens, lorsqu’ils signaient leurs contrats, ne pensaient pas une seconde pouvoir être remplacés par des intelligences artificielles. De fait, il n’y a aucune clause empêchant la reproduction de leur voix.
Côté acteur, si le grand remplacement des têtes d’affiche n’est pas pour demain, l’IA pourrait se frayer petit à petit une place dans les projets cinématographiques. Toujours dans l’optique de faire des économies, les studios souhaitent scanner les visages des figurants pour pouvoir les implanter sur les scènes des différents projets à l’aide d’une intelligence artificielle. De fait, ces comédiens n’auraient plus besoin de se rendre sur les plateaux de tournage et seraient, par conséquent, moins bien payés. D’importantes situations précaires pourraient donc voir le jour.
Tu l’auras compris, le bras de fer entre la WGA et la SAG-AFTRA d’un côté, et les grands studios de l’autre, se poursuit et semble bien parti pour durer…
